En matière d’égalité des sexes, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. La pandémie, qui a entraîné un exode massif des femmes de la main-d’œuvre active, a constitué un recul majeur en termes de représentation des femmes au sein de la population active et laissé une marque indélébile dans notre mémoire collective. Selon le rapport 2023 du Forum économique mondial (FEM) sur l’écart entre les femmes et les hommes, il faudra désormais sans doute 131 ans pour combler les disparités hommes-femmes.
Les données fournies par LinkedIn au cours du FEM, qui couvrent 163 pays à l’échelle mondiale, montrent que si les femmes représentent 41,9 % de la main-d’œuvre en 2023, la part des femmes occupant des postes de direction (niveau directeur, vice-président ou cadres supérieurs) n’est que de 32,2 %, et ce chiffre varie considérablement en fonction du secteur d’activité. Dans le domaine de l’intelligence artificielle, la disponibilité des talents a été multiplié par six entre 2016 et 2022, mais le pourcentage de femmes travaillant dans l’IA aujourd’hui est d’environ 30 %.
De plus, les femmes restent largement sous-représentées dans le domaine des STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), où elles ne constituent que 29,2 % de la main-d’œuvre totale. Ces statistiques sont déconcertantes, car les femmes obtiennent de meilleurs résultats que les hommes dans les cursus de STIM, et pourtant, elles sont sous-estimées et sous-représentées. Il n’est pas surprenant que la représentation des femmes dans les postes de direction soit parmi les plus faibles dans le secteur technologique, avec seulement 24 %.
Les femmes apportent de la créativité et des points de vue uniques qui sont essentiels en matière d’innovation, un facteur de différentiation incontestable dans le monde ultra-compétitif d’aujourd’hui. Pourtant, il n’y a qu’une poignée de femmes à la tête de grandes entreprises en tant que PDG. Pendant des années, le nombre de femmes occupant des postes de haut niveau a oscillé entre cinq et huit pour cent. En 2023, nous aurons peut-être l’occasion de porter un petit toast lorsque le nombre de femmes PDG atteindra pour la première fois la barre des 10 %. Mais tant que le plafond de verre résiste, les femmes ne sont pas prêtes à crier victoire.
Briser le plafond de verre : un combat difficile
Le plafond de verre est réel, il n’est pas invisible, et il n’y a pas de solution miracle en vue pour surmonter les obstacles (bien trop nombreux) auxquels se heurtent les femmes aujourd’hui.
Les préjugés implicites et l’âgisme sont monnaie courante sur le lieu de travail. Au Royaume-Uni, près de 50 % des femmes interrogées affirment avoir été victimes de discrimination et un pourcentage alarmant de 20 % ont démissionné suite à des allégations de harcèlement. La situation est encore plus difficile pour les personnes issues de minorités. Une étude révélatrice menée par l’université Yale a montré que même les scientifiques, réputés pour leur objectivité, ont tendance à embaucher des hommes plutôt que des femmes, face à des candidats ayant le même CV et les mêmes compétences, et ce, à des salaires nettement plus élevés.
Mettre un pied dans la porte pour obtenir l’emploi qu’elles souhaitent et qu’elles méritent n’est qu’un des nombreux défis auxquels les femmes sont confrontées. La discrimination fondée sur les origines, l’âge, le sexe et même l’apparence est encore très répandue dans le processus de recrutement. Les témoignages de biais flagrants racontés par les candidats et les recruteurs montrent bien que bon nombre de préjugés inconscients sont encore à l’œuvre dans notre société et sur nos lieux de travail.
Des études montrent que les responsables du recrutement sont conditionnés à choisir des candidats hommes plutôt que des candidates femmes, à qualifications et expériences équivalentes. Le centre Pew Research a mis en évidence les deux poids, deux mesures à l’œuvre dans le recrutement, qui engendrent des disparités dans les offres de rémunération proposées aux hommes et aux femmes pour le même poste.
Les femmes représentent aujourd’hui 41 % de la population active, mais elles perdent en moyenne 4 % de leur salaire horaire lorsqu’elles fondent une famille, ce qui représente une perte importante de revenus tout au long de leur vie. Lorsqu’elles reprennent le travail, la plupart des nouvelles mères se heurtent à « l’échelon brisé », qui les empêche de faire évoluer leur carrière et les amène à être écartées des promotions et des augmentations de salaire. Les nouveaux pères, quant à eux, bénéficient généralement d’une augmentation de salaire de 6 % en moyenne. Ce handicap professionnel lié à la maternité joue un rôle majeur dans le renforcement des écarts de rémunération et dans le maintien du plafond de verre, qui empêche les femmes d’accéder aux postes de direction.
Les nouvelles mamans se sentent également obligées de travailler deux fois plus pour prouver leurs compétences et leur engagement au travail. Ce stress supplémentaire a un impact considérable sur la santé mentale des mères qui travaillent et, associé au manque d’options de travail flexibles et au sentiment d’isolement, en particulier aux postes de direction, incite bon nombre d’entre elles à quitter le marché du travail prématurément.
Les communautés de femmes dirigeantes : un pilier de l’égalité
Au-delà des défis posés par les attitudes, les perceptions et la discrimination dans la société et sur le lieu de travail, les femmes doivent également lutter contre leurs propres démons. Certaines souffrent du « syndrome de l’imposteur » : manque de confiance en soi, peur de l’échec et obsession du perfectionnisme. Un sondage réalisé en 2020 auprès de 750 femmes cadres très performantes placées à l’échelon juste avant celui des cadres dirigeants dans divers secteurs d’activité a révélé que 75 % d’entre elles avaient souffert du syndrome de l’imposteur à un moment ou à un autre de leur carrière.
Les femmes occupant des postes de direction se retrouvent souvent seules parmi les décisionnaires et ont du mal à se faire entendre. Les données révèlent qu’au cours d’une réunion d’affaires classique, 75 % des discussions sont menées par des hommes. Ce n’est pas parce que les hommes sont plus compétents et ont plus de choses à dire, c'est le manque de confiance en leurs propres capacités qui freine certaines femmes. C’est là que les communautés de femmes dirigeantes peuvent jouer un rôle essentiel en se soutenant et en amplifiant leurs voix respectives.
Les communautés de femmes dirigeantes offrent non seulement la possibilité aux femmes d’élargir leurs réseaux professionnels et de rencontrer des personnes qui partagent les mêmes idées, mais aussi un espace sûr où les femmes peuvent échanger sur leurs mésaventures et leurs difficultés, quel que soit leur niveau hiérarchique. Les femmes dirigeantes devraient s’appuyer sur les communautés et les groupes de soutien au sein de leur organisation pour partager leur parcours et parler non seulement des forces et des qualités qui les ont aidées à réussir, mais aussi de leurs faiblesses, de leurs échecs et des obstacles qu’elles ont surmontés pour saisir les opportunités et atteindre leurs objectifs.
Ces communautés peuvent constituer de puissantes plateformes permettant aux femmes d’échanger librement des idées et d’exprimer leurs pensées et leurs expériences sur des sujets sensibles tels que la dépression, le stress, l’anxiété, le sexisme et le harcèlement sexuel. L’écart salarial, par exemple, est un problème majeur en matière d’inégalité entre les sexes. Pourquoi est-il encore d’actualité ? Car la plupart des entreprises ne font pas preuve de transparence en ce qui concerne les structures de rémunération et considèrent qu’il est malvenu d’en discuter. Le fait de parler ouvertement de la rémunération et d’échanger des conseils sur les négociations salariales peut permettre à d’autres femmes de se battre pour ce qu’elles estiment mériter.
Si nous voulons que davantage de femmes rejoignent le marché du travail et qu’elles puissent accéder à des postes à responsabilités, nous devons normaliser l’éducation des enfants et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Plus les femmes dirigeantes seront ouvertes sur leurs propres responsabilités parentales et en parleront librement sur le lieu de travail, plus cela deviendra courant. Savoir que l’on n’est pas seul et que l’on a en commun de nombreuses craintes et ambitions peut aider de nombreuses personnes à échapper au sentiment d’isolement sur le lieu de travail.
Inspirer la prochaine génération de femmes dirigeantes
Difficile de devenir ce que vous ne pouvez imaginer. Les femmes peuvent gagner en confiance en elle si des modèles positifs leur permettent de prendre conscience de leurs possibilités. Le fait d’entendre parler des réussites d’autres femmes dirigeantes, entrepreneuses et performantes peut motiver et inspirer la prochaine génération de femmes dirigeantes et les aider à progresser dans leur carrière.
Les femmes cadres supérieures dans l’entreprise doivent se porter volontaires pour guider ou parrainer des collaboratrices qui souhaitent accéder à des postes plus élevés et qui en ont le potentiel.
Les mentors peuvent donner des conseils avisés et tirer parti de leur expérience pour fournir une orientation et des conseils.
Les parraines dirigeantes peuvent utiliser leur crédibilité, leur réputation et leurs réseaux personnels pour rétablir l’égalité des chances et faciliter des contacts auxquelles les femmes n’auraient pas accès autrement. Elles peuvent également aider les femmes à changer leur façon de penser et à envisager d’autres parcours professionnels, postes, projets et opportunités. Les mentors cadres peuvent jouer un rôle important dans l’augmentation du nombre de femmes occupant des postes de direction.
La mixité des genres : non seulement souhaitable, mais profitable
L’argument en faveur de la mixité des genres sur le lieu de travail et dans les postes de direction n’est pas seulement une prérogative éthique ou sociale, c’est aussi un atout qui a des implications stratégiques favorables sur les résultats d’une entreprise. Les recherches montrent que les entreprises dirigées par des femmes ont des résultats financiers dix fois supérieurs à ceux des entreprises où les femmes sont moins nombreuses à occuper des postes de direction. Une direction diversifiée permet également de résoudre les problèmes plus rapidement. Les communautés de femmes dirigeantes peuvent être une force motrice de changement et d’autonomisation qui contribue à briser le plafond de verre et permet aux femmes et à leurs organisations de réaliser pleinement leur potentiel.